vendredi 21 décembre 2018

Cours du pétrole : décryptages et prospective

Commençons par un graphique


Il représente le cours du pétrole sur les 6 derniers mois. Il connaît comme on peut le voir des fluctuations importantes, sans qu'il soit évident de comprendre pourquoi il augmente ou il baisse. Je vais donc tenter de vous donner quelques éclairages.

 0. Repères

En préambule, il me semble important d'avoir quelques repères.
Je m'appuie ici et dans tout ce post sur les chiffres et analyses du BP Statistical Review of World Energy 2018 et de l'Agence internationale de l'énergie auxquels j'ai pu piquer ici ou là quelques graphiques. Merci à eux ;-)

L'unité utilisée est le million de barils par jour (Mb/J ou Mb/d en anglais)

0.1 Production 

La production mondiale de pétrole tourne autour de 100 Mb/J. Depuis peu, les USA sont devenus les premiers producteurs mondiaux, devant l'Arabie Saoudite et la Russie (ils produisent chacun plus de 10 Mb/J et pèsent à eux trois près de 40% de la production mondiale).

Ci-dessous quelques productions nationales en 2017 en Mb/J :

USA13,04
Arabie Saoudite11,95
Russie11,25
Canada4,83
Iran4,98
Venezuela2,11
Chine3,84
OPEP39,43
Monde92,64


0.2 Réserves

Le sujet des réserves est un poil complexe et convient d'être défini en amont. On parle en effet de réserves prouvées (1P), de réserves probables (2P), de réserves possibles (3P) et de réserves ultimes (tout le pétrole sur Terre).


Seul le chiffre des réserves prouvées est publié. Il évolue cependant au gré de plusieurs paramètres : 
  • La découverte de nouveaux gisements
  • L'extraction vient mécaniquement faire baisser ce chiffre
  • Un progrès technique peut permettre d'envisager que certaines réserves dites possibles deviennent prouvées du fait de l'avancée technologique.
  • L'exploitation concrète d'un puits provoque parfois des surprises à la hausse ou à la baisse de ce qu'on pensait pouvoir exploiter
  • Enfin, mais pas des moindres, le chiffre des réserves est publié de manière déclarative par des compagnies pour l'essentiel publiques, et prennent donc en compte des considérations politiques qui faussent certainement l'objectivité des constatations. Le chiffre des réserves saoudiennes n'a par exemple pas évolué depuis plus de 20 ans !!
Alors voilà les chiffres des réserves prouvées

Production (Mb/J) 2017Réserves (Millards de barils) 2017
USA13,0450
Arabie Saoudite11,95266
Russie11,25106
Canada4,83168
Iran4,98157
Venezuela2,11303
Chine3,8425
OPEP39,431218
Monde92,641696
Première constatation, les leaders des réserves (Venezuela, Arabie Saoudite et Canada dans l'ordre pour le podium) ne sont pas fatalement ceux auxquels on s'attendait.

La deuxième, et c'est pour cela que j'ai laissé en regard les chiffres des productions, c'est qu'il y a un décalage assez flagrant entre ces deux indicateurs. On en reparle un peu plus tard.

0.3 Exploration

Le premier facteur donc qui peut influer sur le chiffre des réserves prouvées est la découverte de nouveaux gisements. Mais ce point est pour le moins décevant, on découvre moins de pétrole qu'on n'en consomme depuis le milieu des années 1980. On a touché un plus bas en 2017 (dans l'attente des chiffres de 2018) à 4 milliards de barils.

0.4 Rendement énergétique

Il s'agit du rapport entre une unité d'énergie extraite et l'énergie dépensée pour extraire cette énergie. 
Le pétrole est disponible sous différentes formes (le pétrole suit un processus long et compliqué entre la mort du plancton et le pétrole produit fini, donc tout dépend à quelle étape du processus on extrait la matière) et à différentes profondeurs (les premiers gisements étaient creusés par des puisatiers...), et dans des milieux plus ou moins hostiles (au fond des mers, dans le désert, ...). Tout ceci explique que l'énergie pour extraire un baril de pétrole peut être différente d'un gisement à un autre.

On va d'un simple coup de pioche (j’exagère à peine) en Arabie Saoudite, à un processus ultra complexe pour les sables bitumineux canadiens.
Pour ces derniers, il faut d'abord défricher le terrain, souvent une forêt au départ, ensuite le pelleter, pour obtenir un mélange de bitume et de sable. Le moyen le plus efficace qui a été trouvé pour séparer les deux c'est de le vaporiser (transformation en vapeur) en le chauffant. Enfin, parce que non ça n'est pas encore fini, il faut ajouter au résultat de l'hydrogène, via une usine implantée à côté. C'est coûteux en énergie tout cela (et je ne parle même pas des étapes suivantes : transport, raffinage, etc...)
De ce fait, nos amis canadiens estiment qu'ils n’extrairont jamais toutes leur réserves, tant dans certains cas, le fameux rendement énergétique est largement inférieur à 1.

Et c'est là que je veux en venir. Chaque extraction d'énergie, ou même synthèse artificielle de pétrole a un coût  financier qui pourrait un jour ou l'autre être réglé par une augmentation du cours du baril. Mais cette dernière ne réglera jamais un déficit énergétique...

Au fait, un champ d'extraction de sables bitumineux, ça ressemble à ça. Il faut un effort d'imagination important pour se figurer la forêt de sapins qu'il y avait là avant...


1. Alors fin du pétrole ou pas ?

Un premier calcul basique serait de diviser les réserves prouvées par la consommation annuelle pour en déduire le nombre d'années qu'il nous reste.

Réserves prouvées / Consommation annuelle = 
1696 / (0,1 *365) = 46,46 années

Donc, bonne nouvelle, il nous resterait plus de 40 ans de réserves, pas de quoi s'énerver.

Alors, en quoi ce calcul est faux ? 
  • D'abord, et surtout, il est complètement théorique. On consomme à fond pendant 46 ans et ensuite on s'arrête d'un coup ? Cela paraît peu probable.
  • Dans les 1696 milliards de barils de réserves sont inclus un bon tiers de réserves de sables bitumineux du Canada, et les fuels extra-lourds de la vallée de l'Orénoque au Venezuela, dont on estime que la plupart ont un rendement énergétique tellement défavorable qu'ils ne seront jamais extraits. Ce qui explique en partie par exemple que malgré les énormes réserves vénézuéliennes, le pays ne produit qu'un peu plus de 2 millions de barils par jour.
  • Il considère une consommation stable pendant les 40 ans à venir. Or l'AIE estime que déjà d'ici à 2023, la demande devrait augmenter de près de 7%.


Alors, ce graphique, j'ai quand même mis quelques minutes à comprendre de quoi il s'agissait, je vais vous faire gagner du temps en vous l'expliquant. Il représente année par année la demande supplémentaire attendue. Donc on constate que la demande est toujours en augmentation (sinon nous aurions des chiffres négatifs) même si l'augmentation de cette demande semble se ralentir un peu.

2. Qu'est-ce qui est donc le plus probable ?


Le plus probable, c'est que dans les années qui viennent, le cours du baril explose à la hausse rendant le pétrole inaccessible pour la plupart des usages actuels. Le fragile équilibre entre offre et demande devrait se rompre si on en croit l'AIE.

On (enfin certains) a longtemps cru qu'il y aurait un pic de la demande, c'est à dire un moment où la demande de pétrole atteindrait un maximum avant de décroître. On tablait pour ce faire sur la montée en puissance des véhicules électriques et les économies de chauffage. Mais cela devrait arriver trop  tard.

Ainsi, la bonne nouvelle, c'est qu'il devrait rester du pétrole pendant encore très, très longtemps, la mauvaise, c'est qu'il sera certainement trop cher pour alimenter les réservoirs de nos voitures.

Une autre bonne nouvelle, c'est que les émissions de CO2 devraient mécaniquement baisser.

3. Et le pétrole cher c'est pour quand ?

De très nombreuses études ont été écrites à ce sujet. Jusqu'il y a quelques années, elle divergeaient de manière impressionnante. Maintenant, elles sont toutes d'accord pour affirmer que cela se produira lors de la prochaine décennie. l'iAIE est même plus précise que cela, entre 2023 et 2025. Elle s'appuie pour cela sur d'autres indicateurs que nous allons découvrir.

4. Pourtant en 2018, il semble y avoir beaucoup de pétrole, les cours sont plutôt bas en cette fin d'année ???

Pour comprendre ce qui s'est passé cet automne sur les cours du baril, il convient de dissocier une analyse politique de l'analyse stocks.

4.1. L'analyse politique

L'administration Trump a décidé de rétablir l'embargo sur les produits pétroliers iraniens (le fameux accord sur le nucléaire dénoncé par l'homme à la mèche blonde) au début de novembre 2018. Après une période d'incertitude sur le maintien de cet embargo, les cours se sont affolés parce que 5 Mb/J étaient sortis du circuit. Oui, vous avez bien lu, tout ce tapage est dû à 5 % de la production mondiale. C'est juste que l'équilibre est rompu.
Or Trump, voyant les prix du baril monter, a octroyé des dérogations temporaires à 8 pays (Chine, Inde, Japon, Corée du Sud, Italie, ... pas que des pays mineurs donc...) ce qui a fait totalement explosé la bulle. Il est nécessaire de préciser aussi qu'il était alors en pleine campagne pour les mid-terms. Et dans ce contexte il ne pouvait pas laisser le prix à la pompe s'envoler.
Sauf que pendant ce temps-là, l'OPEP+ (entendez par là l'OPEP + la Russie) avaient tenu à montrer leur rôle de régulateurs du marché en augmentant leur production. 
Et hop, trop d'offre... le cours s'écroule à nouveau.

Côté Arabie Saoudite, ils marchent sur un fil. Ils ont intérêt à maintenir un cours bas pour que les gisements d'huiles de schiste soient peu ou pas rentables mais pas trop bas parce que leur économie est complètement sous transfusion pétrolière. A 50 $ du baril, l'Arabie Saoudite est en déficit budgétaire et aura même mangé son fonds souverain en 5 ans.

Les Russes, eux, ont deux fois plus de réserves que les USA, et même si la manne pétrolière fait une grosse différence dans le budget en fonction du prix du baril, les enjeux sont ailleurs pour eux. Il est important pour Poutine de démontrer le poids de la fédération dans le concert des nations.

4.2. L'analyse Stocks

Cette analyse est totalement déconnectée de ce qui précède. Parce que pendant certains dirigeants jouent avec les cours pour des raisons électorales ou d'image, trois phénomènes concourent à une baisse des investissements : 
  • Depuis 2014, le bas prix du pétrole ne laisse pas entrevoir une rentabilité pertinente
  • Les coûts des énergies renouvelables sont en chute libre. Cela a détourné d'importantes sommes d'argent des hydrocarbures vers le solaire ou l'éolien.
  • Green-washing ou pas, sous la pression des citoyens, certains fonds ont drastiquement baissé leurs investissements vers les sources carbonées.
Et cela peut se voir dans les chiffres :

Les sommes d'argent investies dans le pétrole (et le gaz) ont fondu de presque moitié.

5. C'est là où je voulais en venir

Ok, je vous l'accorde, l'introduction a été longue. Mais c'est bien le graphique précédent qui fait frémir les analystes de l'AIE. 
Ce que pointe l'honorable institution, c'est que tous les ans, un équivalent de production de 3 Mb/J disparaît du fait des puits qui s'assèchent. Il convient donc de les remplacer. Cela n'est pas une paille, c'est l'équivalent de la production de la Mer du Nord. Mais ça, c'est juste pour remplacer les gisements épuisés par de nouveaux, cela ne tient absolument pas compte de la nécessité d'absorber l'augmentation de la demande. 

Or le marché, on l'a vu cet automne est fébrile, d'autant qu'il se couple à des jeux politiques, stratégiques et d'influences. L'AIE prédit qu'en 2025 au plus tard, le baril du pétrole va connaître une nouvelle crise d'ampleur. 
Pfft, les USA vont produire plus de gaz (et d'huiles) de schistes et hop, il n'y a plus de problèmes, me direz-vous... Sauf que le déficit, d'ici à 2023 nécessiterait un triplement de la production d'huiles de schistes des US, pas moins, donc tout à fait impensable.

6. Quelles solutions ?

A cette question je vois plusieurs niveaux de réponses que je vais détailler : 

6.1. Premier niveau

Le premier niveau de réponse, c'est de dire qu'il n'y en a pas. On va devoir faire avec un pétrole bien moins accessible que maintenant. Notez quand même qu'à 50 $ le baril de 159 litres, c'était donné, il y a des eaux minérales plus chères que ça.

6.2. Deuxième niveau

Dans un deuxième niveau d'analyse, on peut croire que des alternatives seront bientôt disponibles. Voitures électriques, biogaz, batteries, Enr, etc. Et je suis assez d'accord. Je suis assez convaincu que des solutions qui existent déjà pour la plupart vont se généraliser, s'industrialiser, et remplacer avantageusement le pétrole. Avantageusement car enfin qui souhaiterait être dépendant pour son énergie de pays à l'autre bout du monde, gérés de manière au moins discutable ?

Je suis même convaincu que les problèmes actuels (utilisation des métaux rares, faible capacité des batteries, intermittence des EnRs, ...) trouveront des solutions qui elles aussi existent déjà au moins en laboratoire.

Oui, parce que voilà, il y a un hic. On ne sera jamais prêts à temps. Ce qui se profile, c'est que nous devrions être confrontés au problème d'ici 5 à 8 ans. c'est beaucoup trop tôt. Il nous manque entre 10 et 20 ans.

6.3. Troisième niveau

Il va nous falloir gérer une période transitoire, c'est à peu près certain. Et là, les solutions ne pourront passer que par l'intelligence collective et la coopération.
Pour le moment, personne n'imagine se passer de sa voiture, célébrée comme l'outil ultime de liberté. Cela a même été le déclencheur de la crise des gilets jaunes. Cependant, quand nous n'aurons plus le choix parce que le pétrole sera devenu trop cher pour une immense majorité de la population, alors certains râleront, mais d'autres feront face et trouveront de nouvelles idées pour contourner la difficulté. Je ne doute pas que des initiatives locales au niveau des communes, des associations, des groupes d'amis, des voisins pourront palier à ces difficultés.

Cela passera évidemment par une réduction des déplacements, une relocalisation des productions, et une quête inlassable d'économies d'énergie, mais aussi à n'en pas douter par une crise économique mondiale de grande ampleur, des migrations plus ou moins désirées, et des risques de conflits armés.

Ces constations font l'objet d'une nouvelle discipline : la collapsologie (du verbe anglais to collapse : s'effondrer) porté par un auteur qui est en tête de gondoles à la FNAC Pablo Servigne "Comment tout peut s'effondrer". Entrer dans les considérations collapsologiques serait trop long pour ce post déjà volumineux.

Cependant, c'est beaucoup moins angoissant que cela ne peut paraître au premier abord. En effet, ces réflexions misent sur un rebond de la coopération humaine, de l'entraide et la fin de l'individualisme forcené de ces dernières années. Finalement, c'est peut-être une chance pour l'humanité toute entière de se réinventer loin des excès actuels.

6.4. Quatrième niveau

J'ose espérer que nos responsables politiques sont alertés et conscients de ce qui se profile. De manière anecdotique, des décisions comme l'interdiction des voitures thermiques dans certaines villes à l'horizon 2040 me font doucement rire, parce qu'il y a fort à parier que plus personne n'aura alors les moyens de mettre de l'essence dans un quelconque réservoir.

Cependant, sans pour autant tomber dans le complotisme, je serais assez curieux de savoir ce qui se dit au plus haut niveau de l'état (des états) sur le sujet. Il n'y a aucune communication officielle. Peut-être qu'ils tablent sur le fait que ce n'est qu'une projection et qu'avant de créer la panique dans la population en étant transparent, il est important d'attendre que ces hypothèses s'affermissent ? D'autant plus que de nombreuses filières industrielles de poids sont en en jeu. Cela, c'est mon scénario optimiste, je ne vous parlerai même pas du pessimiste, il est trop déprimant.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

News écolos N°80

News écolos N°80  (Juin 2019) Ce billet  régulier  a  pour  objectif de partager les actualités et les informations glanées a...